l’Enfer du Jeu

6 mai 2013

l’Enfer du Jeu

Voici quelques années que la République Démocratique du Congo amorce timidement, une reprise de sa croissance économique. Même si ces indicateurs ne se bornent jusque là qu’à des agrégats macroéconomiques (maitrise de l’inflation, diminution du déficit et des effectifs publics, etc.) ; la situation au niveau microéconomique, concernant directement l’évolution et le comportement des ménages, est encore précaire.

Si les indicateurs globaux s’améliorent, le congolais lambda est encore affligé par la précarité dans plusieurs domaines : emploi, santé, éducation notamment.  L’Histoire nous apprend qu’un tel contexte de crise est généralement favorable pour voir émerger des opportunistes qui, profitant de ces malaises, tirent leurs épingle du jeu. C’est dans ce cadre qu’il faudrait assimiler la prolifération et le succès croissant des jeux de hasard, dans les pays économiquement sinistrés.

En RDC, ce sont actuellement les paris sportifs qui ont pignon sur rue.  Grand amateurs de football, les congolais ont ainsi vu plusieurs sociétés spécialisées dans ce business, s’installaient en leur proposant de parier les  maigres gains qu’ils thésaurisent ou épargnent, en pronostiquant sur l’issue des matchs de football.  Kinshasa, mais aussi, plusieurs villes du pays où sont très actives ces sociétés, affichent un contraste étrange, avec des jeunes et des adultes, devenus supporters de grands clubs européens, uniquement par le simple fait que ceux-ci leurs procurent, après avoir parié sur leurs prestations, des dividendes substantielles.

Il n’est pas ainsi étonnant de voir à Kinshasa, des comités de supporters du Real Madrid et de Barcelone, comités qui n’existaient pas il y’a deux ans, mais dont la création est motivé par le lucre. Ces comités circonstancielles en sont mêmes venus jusqu’à transposer l’antagonisme légendaire des deux clubs espagnols au niveau local, à tel point qu’il arrive souvent que sans que le Real et le Barça n’en  soient informés, des rixes se produisent souvent  entre  leurs « sympathisants non espagnols » à près de 8 000 kilomètres du Camp Nou et de Santiogo Bernabeu.

La Liga espagnole, surmédiatisée et l’importance donnée en terme de quotes et de dividendes aux deux clubs espagnols sont à la base de ce déracinement des supporters congolais actuels qui, souvent pour un rien, se querellent entre eux ou en viennent aux mains pour défendre leurs clubs favoris.

Cependant, cette situation est,  au-delà des échauffourées qu’elle occasionne, source de désagrégation sociale. Caractéristique commune des jeux d’argent, la dépendance à ceux-ci  conduit à des situations dramatiques : endettements, vol, tensions familiales, pour ne citer que ceux-là. Pourtant, les congolais à la mémoire courte auront vite fait d’oublier que les jeux d’argents ont, à une époque marquée par une situation politique explosive, contribué à plonger le pays dans le chaos, en créant les conditions ayant conduit à la mutinerie, d’où résultèrent les pillages de 1991 dans l’ex Zaïre !

Les Jeux d’argent et les pillages de 1991

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il sied de faire un petit bond en arrière dans le temps, pour circonscrire l’origine des jeux d’argent ainsi que leurs impacts sur les sociétés dans lesquelles ils ont fonctionné.  En écumant le passé, il est étonnant de remarquer que ces jeux, n’affectaient pas seulement les pays pauvres, mais que même dans les pays industrialisés, ils ont su se développer principalement au sein des couches défavorisées de la population. Aux Etats-Unis, ce furent les Ponzi Games, et en France, le jeu dit de la Pyramide inversée  qui attiraient les foules et raflèrent une grande partie de l’épargne de ces pays.

 

En RDC, des systèmes d’entraides communautaires connues sous le nom de Tontine existent. La Tontine est une association financière créée entre des personnes qui décident de verser une somme déterminée à intervalles fixées, les sommes ainsi réunies sont à tour de rôle reversées à chaque membre de l’association.

 

La Tontine se base ainsi sur plusieurs apports collectifs, suivi de la redistribution individuelle immédiate au profit d’un bénéficiaire.  Les rapports entre la population et les gouvernants étant emprunt de méfiance, les congolais continuent encore jusqu’à aujourd’hui, à opter pour des circuits financiers parallèles pour survivre. Ainsi, lorsque des jeux d’argents calqués sur le modèle des tontines en vinrent à proposer sur base de mises modiques, des gains considérables en des temps record (variant de 4 à 45 jours), il n’est dès lors pas étonnant, que beaucoup de congolais mordirent à l’hameçon.

 

En créant la Sozal (Société Zaïroise de Loterie) qui avait pour prérogative exclusive la l’organisation de jeux de hasard et de pronostic, l’ancien président Mobutu avait entrainé une ruée de ces citoyens qui, inquiets devant les flambées inflationnistes de l’époque, s’étaient désolidarisés des banques et des coopératives d’épargnes classiques, et investissaient leurs argents dans les loteries.  Du Bingo au PMU (Pari Mutuel Urbain), la Sozal, mais aussi d’autres initiatives privées homologuées ( Bindo et Nguma Promotion) ont ainsi entrainé tout un peuple dans un engrenage d’un enrichissement qui va du gain modique au gros lot.  Le succès engrangé a créé des joueurs invétérés, intégrant dans leurs revenus, des rubriques « jeux ».  L’impact populaire fut tellement grand, que des cohortes d’hommes d’affaires, de hauts fonctionnaires et mêmes de congolais expatriés, rentraient au pays pour faire des placements dans ces jeux, dont le succès grandissant avait fait le tour du pays et créé une véritable « Bindomania » dérivé du nom de Michel Bindo Bolembe, l’un des principaux promoteurs privé s’étant lancé dans ce business.

 

La Banque centrale du Zaïre,  qui déjà dénonçait des procédés douteux dans le système, verra son propre personnel menacé par la population et l’armée, pour avoir osé dénoncé ceux que le peuple et la presse en avant-plan, décrivait comme le Messie. La population crédule, avait happé tous ses efforts dans ce système de gain facile. Contrairement aux jeux de loterie, le jeu de la pyramide inversée repose exclusivement sur la crédulité des souscripteurs puisqu’il n’est en rien fondé sur le hasard mais sur une assurance que l’avoir cédé sera remboursé à terme avec un taux d’intérêt exponentiel.

 

Bindo-Promotion proposait des taux d’intérêt de 800 % appliqués au terme de 45 jours, ce qui, en terme annuel, signifiait 8 000 % de taux d’intérêt ! Le système ainsi conçu reposait davantage sur un effet boule de neige que sur un fond massif de départ. Le capital de départ résidait dans la confiance d’un petit groupe de joueurs auquel se joignit une foule de plus en plus importante grâce au bouche-à-oreille.    Dès que commencent les remboursements, à l’aide des sommes placées par les joueurs, il faut compter sur l’effet du bouche-à-oreille joue pour susciter l’engouement général.

 

Non seulement des nouveaux clients arrivent, ameutés par les joueurs qui viennent de toucher leur mise grossie de 800 % d’intérêt simple, mais ces derniers remettent en jeu les sommes qu’ils viennent à peine de toucher. Au sein d’une population kinoise où les citadins mal informés et dans un cadre où les institutions traditionnelles d’épargne et d’investissements ont perdu la confiance des clients potentiels, Bindo-Promotion ne pouvait susciter qu’un raz de marée.

 

Cette réussite qui surprit Bindo lui-même est la cause principale de l’arrêt prématuré des paiements. Un maillage serré des agences Bindo s’étendit rapidement dans tous les coins de la capitale, des services publics aux camps militaires. On mit à la tête des agences des receveurs qui, devant la masse incroyable des recettes recueillies, s’en mirent plein les poches, opérèrent des remboursements prématurés contre dessous de table et falsifièrent les reçus. Bindo, lui-même courtisé par les barons du régime, fit éclater son plafond en acceptant des sommes colossales que les souscripteurs venaient récupérer, accompagnés de  leurs militaires, une semaine après le dépôt au lieu des 45 jours prévus. La suite on la connait. S’étant lié aux politiques, voulant eux aussi tirer leur épingle du jeu, le système s’est vite essoufflé.

 

Bindo, mais aussi Nguma, les principales sociétés des placements privés, furent dans l’incapacité d’honorer leurs engagements vis-à-vis des souscripteurs.  Près de 50 millions de dollars pour Nguma et 14 millions pour Bindo, des sommes supérieures à la masse monétaire qui circulait au Zaïre à l’époque furent englouties, plongeant l’économie déjà moribonde dans une crise encore plus profonde.

La liste des souscripteurs envoûtés par le démon du jeu, intégrait pêle-mêle fonctionnaires, soldats, étudiants, etc. Certains  ayant même détourné des deniers publics pour les investir dans ces jeux. Même les banques commerciales, censées être les vecteurs de la croissance, ont toutes versées dans la combine.

 

La population chauffée à blanc, répercutera cette vaste arnaque nationale à Mobutu, qui selon eux, aurait orchestré toutes ces opérations pour enrichir ses proches, une énième Zaïrianisation. La presse zaïroise de l’époque écrira :

« On est ainsi en mesure d’établir aujourd’hui, que l’indisponibilité des liquidités dans le circuit bancaire s’expliquerait par l’hypothèse selon laquelle ceux qui détiennent le pouvoir économico-financier auraient soustrait du circuit bancaire d’importantes sommes d’argent pour monter et financer Bindo-Prornotion et donc lui permettre d’honorer les engagements qu’il a pris au début de ses activités » (Yenga Ndula  et  Mokolo Liseko, Le Soft de finance, 18 mai 1991, p. 8).

 

« Assurer la sécurité de Bindo et ses actions par les éléments de la Garde Civile, lui accorder plus de temps à la télé et à la radio, plus même que le Président de la République, lui céder les installations administratives de l’Etat, notamment dans les zones de Kinshasa, démontre à suffisance l’appui que le gouvernement accordait à Bindo » (Kapia, 4 juin 1991, P. 7).

 

Aux manifestations étudiantes qui se succédaient et à la répression qui s’en suivaient, se conjuguèrent l’insatisfaction des militaires, pourtant eux-mêmes souscripteurs, et qui accusaient leurs cadres d’avoir sacrifié leurs soldes sur l’autel du Jeu. C’est la révolte de la 31ème brigade de l’Armée zaïroise du 22 au 23 septembre 1991, emboitée trois jours durant par la population, qui a été le catalyseur des pillages de triste mémoire. Des pillages qui ont totalement mis à genoux ce qui restait de l’économie zaïroise. De toute cette expérience, l’histoire retiendra pour les contemporains que la société congolaise fait reposer la réussite sur la débrouillardise.

 

« Bindo-Promotion n’est que la pointe de l’iceberg d’un système mis en place par le pouvoir pour faire croire aupeuple zaïrois que ce dernier a enfin trouvé la famille qui permettra désormais, aux descendants d’Adam créés à  l’image de Jéhovah, de ne  plus jamais vivre selon sa prescription : Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front» (Le Phare, 17 mai 1991,P. 7).

Si les jeux de pari sportif ne reposent pas sur le système pyramidal, ses imbrications avec le pouvoir politique, laissent craindre des situations de déficit. Cela est déjà arrivé plus d’une fois à Kinshasa, où les sociétés de pari sportif ne disposaient pas de suffisamment de fonds pour payer leurs souscripteurs. Les rétributions que ces sociétés reverseraient aux dires des percepteurs à des autorités politiques, seraient parmi les causes de cette situation. D’où l’avis des observateurs qu’un jour, les principales sociétés de jeux sportifs puissent être dans l’incapacité totale d’honorer leurs engagements et mettent la clé sous le paillasson. Une énième répétition de la crise de 1991 dans l’ex Zaïre.

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